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AXA IM : (In)égalité ho/fe en Inde : les femmes et l’économie informelle

(In)égalité ho/fe en Inde : les femmes et l’économie informelle

par Marie Fromaget, Analyste capital humain et diversité, AXA IM

En Inde, l’inégalité entre les sexes semble commencer à un très jeune âge – voire avant la naissance. Alors que les femmes sont fortement sous-représentées dans l’économie indienne, atteindre l’égalité hommes-femmes nécessitera un changement significatif des attitudes concernant la perception du travail féminin.

Par rapport à 2015, on estime qu’une meilleure participation des femmes au marché du travail pourrait accroître le PIB national de 770 milliards de dollars d’ici 2025[1]. Mais cela n’ira pas sans difficultés.

Alors que nous avons déjà examiné la situation des femmes en Allemagne, au Japon et en Chine, nous nous arrêtons cette fois sur l’égalité des sexes en Inde. Nous nous sommes appuyés sur ces quatre marchés pour illustrer les principaux moteurs de l’inégalité entre les sexes, à travers les différentes étapes de la vie d’une femme.

Comme en Chine, les préjugés visant les filles semblent exister dès la naissance. En effet, les avortements sélectifs fondés sur le sexe ont conduit à un déséquilibre des naissances, au détriment des bébés filles. Sur l’ensemble des naissances, le ratio entre garçons et filles s’établit à 1,11[2].

Les filles sont confrontées à des inégalités persistantes pendant leur enfance, qui affectent leur accès à l’alimentation, à la santé et à la sécurité. Selon la revue médicale The Lancet, plus de 2,4 millions de filles de moins de cinq ans meurent chaque décennie en raison de préjugés sexistes[3].

En raison de facteurs tels que la violence sexuelle et la traite des êtres humains, l’Inde est considérée comme le pays le plus dangereux au monde pour les femmes.[4] Les statistiques montrent que plus de 63 millions de femmes ont « disparu » en Inde[5].

Les femmes consacrent sept à dix fois plus de temps que les hommes aux tâches domestiques, contre deux à trois fois en moyenne dans le reste du monde

L’éducation représente cependant un domaine d’égalité relative – on observe une différence peu marquée des taux de scolarisation dans les différentes phases du cursus scolaire. L’écart devient toutefois évident dès que les femmes commencent à travailler, sachant que le taux de participation des femmes au marché du travail ne dépasse guère 28,4 %[6].

Cet écart s’explique notamment par le temps consacré au travail non rémunéré. Les femmes consacrent sept à dix fois plus de temps que les hommes aux tâches domestiques[7], contre deux à trois fois en moyenne dans le reste du monde. Les femmes indiennes désirent pourtant travailler : un tiers des femmes au foyer déclarent qu’elles aimeraient avoir un emploi[8].

OCDE

Source : OCDE

Ségrégation sur le lieu de travail

En Inde, l’immense majorité du marché du travail – 88 % – concerne les emplois informels. [9] Cette situation a un impact sur les deux sexes, et il est d’autant plus difficile de lutter contre les inégalités qu’il n’existe pas de système de protection des travailleurs. Le défi de la création d’emplois de qualité en Inde est étroitement lié à la création préalable d’un plus grand nombre d’emplois dans l’économie formelle.

Pour les femmes qui travaillent, il existe un écart de salaire de 34 % par rapport aux hommes[10], qui tend progressivement à se réduire. Cet écart peut être attribué à diverses formes de discrimination, dont la ségrégation au travail. Les déplacements des femmes sont contrôlés par les membres masculins de la famille, et on leur dit quel type de travail est susceptible de leur convenir. Il existe en outre des facteurs traditionnels tels que l’âge, l’éducation et l’expérience, mais aussi d’autres causes moins visibles et plus subtiles.

Les femmes indiennes qui travaillent sont discriminées à la fois au sommet (le « plafond de verre ») et dans la partie inférieure de la distribution des salaires (le « plancher collant »), où la différence de rémunération est plus importante. Dans l’Inde conservatrice, les femmes sont souvent découragées de travailler, tandis que les hommes jouent systématiquement le rôle de soutien de famille.

De plus, les femmes quittent souvent leur emploi pour s’occuper de leur famille, ce qui explique pourquoi il est difficile de gravir les échelons de l’entreprise et d’accéder à des postes de direction. La Banque mondiale estime que 20 millions de femmes ont quitté la vie active entre 2004 et 2012[11] – et la situation continue de se détériorer.

Afin de réduire les disparités hommes-femmes sur le marché du travail et d’encourager le retour des mères à leur poste après l’accouchement, le gouvernement indien a augmenté – à travers la Loi (modifiée) sur les prestations maternité – la durée du congé maternité payé de 12 à 26 semaines en 2017. Cependant, comme les coûts des prestations maternité sont répercutés sur les employeurs, une conséquence involontaire de cette loi est que les entreprises ont plus de mal à recruter des femmes dont elles peuvent maintenir les salaires à des niveaux faibles.

Cette situation est probablement plus marquée dans les petites et moyennes entreprises, où la présence et la productivité du personnel constituent des facteurs de performance clés. Plusieurs études récentes ont confirmé cette hypothèse, en montrant qu’un à deux millions de femmes pourraient perdre leur emploi dans une dizaine de secteurs au cours de la première année de mise en œuvre du congé maternité prolongé[12].

Aux niveaux hiérarchiques supérieurs, le quota imposant la présence d’au moins une femme dans les conseils d’administration des entreprises cotées en bourse a permis d’obtenir une meilleure diversité des administrateurs. S’il s’agit d’un bon début, nous pensons qu’il faudra faire davantage avant d’atteindre une masse critique permettant aux administratrices de faire entendre leur voix.

Le guide de l’engagement des investisseurs en Inde

Selon nous, de nombreux leviers peuvent être activés en vue de faire progresser l’égalité des sexes en Inde. Les principales mesures, pour améliorer l’autonomisation des femmes en milieu professionnel et convaincre les entreprises de renforcer leurs pratiques inclusives et la diversité de leurs employés, doivent viser une évolution des attitudes sociétales et la création d’un environnement de travail sûr.

Nos recommandations, dans les échanges avec les entreprises indiennes, incluent les éléments suivants :

  • Un discours explicite, de la part de la direction générale et du conseil d’administration, appelant à l’égalité des chances et à la tolérance zéro en matière d’inégalité des sexes et de harcèlement sexuel. Sans prise de responsabilité et sans engagement de la part des dirigeants, les valeurs et le climat d’une entreprise sont peu susceptibles de changer. Nous exigeons donc que la direction générale et le conseil d’administration fassent une déclaration publique sur l’égalité hommes-femmes.
  • La mise en place de politiques et de programmes d’égalité des chances visant à garantir l’égalité des sexes. Dans un pays où peu de femmes accèdent au marché du travail, il convient tout d’abord de s’assurer que les entreprises ont mis en place des politiques de recrutement des femmes, avant d’espérer une meilleure représentation des femmes aux postes de direction.
  • Une flexibilité du travail permettant aux hommes et aux femmes de concilier vie privée et vie professionnelle. C’est particulièrement important dans un pays comme l’Inde, où les femmes passent encore beaucoup de temps à s’occuper des enfants, des membres âgés de la famille et des tâches ménagères.
  • Un reporting clair sur les données de genre, fournissant une répartition détaillée de la proportion de femmes, selon les niveaux hiérarchiques et les unités opérationnelles. Nous voulons comprendre l’équilibre hommes-femmes au sein de l’entreprise et consulter des données spécifiques (et éventuellement des lignes directrices/objectifs) concernant les travailleurs débutants et la rotation du personnel. D’autres indicateurs peuvent inclure le pourcentage de femmes au sein des conseils d’administration et un reporting anonyme fondé sur le genre concernant les systèmes d’alerte. L’inégalité entre les sexes reste un défi que pratiquement tous les pays, quel que soit le stade de leur développement économique, doivent relever. Il ne s’agit ni d’un problème sectoriel, ni d’un problème lié à un marché particulier. Il s’agit d’un problème mondial. De notre côté, nous sommes convaincus que la persistance de l’écart entre les sexes menace la réussite des entreprises et des économies. Elle se traduit, selon une estimation de la Banque mondiale, par 160 000 milliards de dollars de richesse latente non exploitée et met en péril le cinquième objectif des Objectifs de développement durable de l’ONU : « Parvenir à l’égalité des sexes et autonomiser toutes les femmes et les filles ». Pour les investisseurs, elle risque de plomber la performance à long terme. Les recommandations issues de cette étude constituent la base d’une initiative d’engagement pluriannuelle, que nous avons commencé à mettre en place avec les entreprises en 2019. Après avoir examiné la situation en Allemagne, en Chine, au Japon et maintenant en Inde, nous avons constaté des similitudes, mais aussi de nombreuses différences dans la manière dont les femmes et les travailleuses sont perçues, ainsi que dans les opportunités et obstacles auxquels elles sont confrontées. La résolution des problèmes identifiés dans chaque pays, et d’autres qui existent sans aucun doute ailleurs, nécessite des approches différenciées et ciblées. Nous espérons que les cadres de travail suggérés dans ce document seront adoptés par la communauté des investisseurs pour échanger avec des entreprises basées dans de nombreux pays, qui partagent des trajectoires d’inégalité entre les sexes et de développement économique similaires. Ensemble, nous contribuerons peut-être ainsi à améliorer la situation des femmes dans le monde.

[1] McKinsey, Le pouvoir de la parité : renforcement de l’égalité des femmes en Inde (2015) [2] The Economic Times, juillet 2019 [3] The Lancet, 21 août 2019 [4] Enquête des experts de la Thomson Reuters Foundation, 2018 [5] The Washington Post, 29 janvier 2018 [6] Base de données de la Banque mondiale, 2018 [7] OCDE et McKinsey, mai 2018 [8] Harvard Kennedy School, 10 mars 2018 [9] Organisation internationale du travail (OIT), Les femmes et les hommes dans l’économie informelle : un aperçu statistique, troisième édition, 2018 [10] Rapport mondial de l’OIT sur les salaires, 2018-2019 [11] Banque mondiale, Les femmes dans la croissance économique indienne, 16 mars 2018 [12] TeamLease, Rapport sur la maternité, 2017

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