Anne Tolmunen, gérante de portefeuille, AXA Investment Managers
S’il est désormais de notoriété publique que la diversité hommes-femmes dans les entreprises est signe de bonne gouvernance, ce facteur apparaît même comme un impératif aux yeux de plus en plus d’investisseurs.
L’été dernier, Diane Morefield a été recrutée en tant que directrice financière d’une société américaine de ventes aux enchères dans l’industrie automobile. Cette nomination a priori anodine marque en réalité un tournant : plus aucune société du S&P 500 ne possède de conseil d’administration exclusivement masculin[1].
En outre, la banque d’investissement Goldman Sachs a annoncé cette année qu’elle participerait uniquement à l’introduction en bourse d’entreprises dont le conseil d’administration compte au moins une femme, ou une personne de couleur[2].
Ces deux exemples montrent que, plus qu’un simple objectif, la diversité des entreprises est en passe de devenir la norme. Cette évolution ne traduit pas uniquement des motivations altruistes, mais est également bénéfique d’un point de vue économique. En effet, plusieurs études mettent en évidence la corrélation entre diversité en entreprise et performance.
- Le Credit Suisse a comparé les performances des entreprises comptant moins de 15 % de femmes au sein de la direction, avec celles en comptant plus de 20 %, et celles pour lesquelles ce pourcentage dépasse les 30 %, sur près de dix ans. Il est ressorti de cette étude que les entreprises affichant une diversité hommes-femmes supérieure à la moyenne ont systématiquement généré de meilleures performances entre les mois de janvier 2010 et de mai 2019 que l’univers Gender 3000 du Credit Suisse et que l’indice MSCI All-Country World[3].
- Les recherches du Peterson Institute for International Economics confortent l’hypothèse selon laquelle la diversité au sein des conseils d’administration et des entreprises en général a une incidence financière positive. Elles révèlent en effet que les entreprises n’ayant aucune femme parmi les responsables augmentent leur chiffre d’affaires net de 15 % en y intégrant 30 % de femmes[4].
- Qui plus est, une analyse de McKinsey montre que les entreprises classées dans le premier quartile concernant la diversité hommes-femmes de leurs équipes de direction sont 21 % plus enclines à être plus rentables que les autres[5]. Les entreprises affichant une plus grande mixité tendent également à offrir un meilleur rendement du dividende et à présenter une volatilité et une exposition au risque légèrement inférieures[6], autant de facteurs positifs pour les investisseurs.
La diversité des conseils d’administration a aussi des répercussions positives sur les normes environnementales, sociales et de gouvernance (ESG), lesquelles contribuent à leur tour à améliorer les performances financières, d’après la Société financière internationale[7].
Les pratiques évoluent, mais il reste encore du chemin à parcourir
Les enjeux ESG occupent une place plus centrale que jamais au sein du monde économique. L’autonomisation des femmes est devenue un thème majeur dans le sillage du mouvement #metoo, car le modèle de domination masculine est de plus en plus perçu comme inacceptable.
Les dirigeants politiques accordent également une plus grande importance à la question de l’égalité. Christine Lagarde, première femme à la tête du Fonds monétaire international et désormais de la Banque centrale européenne, devrait s’attaquer au problème de la représentation féminine qui reste minoritaire au sein des banques centrales, et mener en outre un examen stratégique global.
Par ailleurs, Ursula van der Leyen, récemment élue Présidente de la Commission européenne – première femme à occuper cette fonction – a mandaté l’élaboration d’un nouveau cadre d’orientation visant à lutter contre les inégalités entre les sexes dans l’Union européenne et en dehors.
Les pratiques évoluent. Toutefois, en dépit des changements opérés dans les conseils d’administration du S&P 500, les entreprises ne sont pas encore exemplaires en termes de diversité.
Les femmes sont toujours confrontées à un plafond de verre et restent sous-représentées au sein des directions. Selon McKinsey, si la part des femmes à des postes à responsabilité a augmenté depuis 2015, elle ne s’établit toutefois qu’à 21 %[8].
Outre le plafond de verre, les femmes sont également victimes d’un « plancher collant » qui bloque leur évolution. Sur 100 hommes promus responsables, seules 79 femmes seront nommées à un poste équivalent[9]. Et il serait réducteur de n’imputer cet écart qu’à l’attrition ou à une ambition plus modeste.
Les femmes comptent pour 45 % de la population active, mais représentent moins de 5 % des dirigeants des entreprises du S&P 500 et du S&P Europe[10]. Même dans des secteurs majoritairement féminins, ce sont souvent des hommes qui occupent les fonctions clés. Dans le secteur financier, les femmes représentent 51 % des effectifs. Or, elles n’occupent que 35 % des postes de cadres supérieurs, et 16 % des postes de direction. Dans la santé, elles comptent pour 47 % des effectifs, mais n’occupent que 33 % des postes de cadres supérieurs, et 14 % des postes de direction[11].
Qui plus est, le problème de l’écart de salaires entre les hommes et les femmes reste entier et près d’un siècle pourrait être nécessaire pour le résoudre à l’échelle mondiale[12]. Ces inégalités reflètent en partie le plus petit nombre de femmes occupant des fonctions à responsabilité, ainsi que le temps plus important qu’elles consacrent aux tâches domestiques et aux enfants. Mais cela n’explique pas tout. Une étude de Citigroup révèle que si le taux d’activité, le nombre d’heures travaillées et la productivité des femmes étaient les mêmes que ceux des hommes, le PIB mondial grimperait de 6 % au cours des 20 prochaines années[13].
Comment les investisseurs peuvent-ils intégrer la diversité hommes-femmes à leur stratégie d’investissement ?
En accordant une plus grande importance à la diversité et à la correction des inégalités salariales entre hommes et femmes, les investisseurs peuvent contribuer à rendre incontournable ce qui n’est encore qu’une bonne pratique de gouvernance. Qu’est-ce que cela signifie concrètement ?
Les investisseurs peuvent s’intéresser aux principaux indicateurs clés de performance, tels que la part de femmes cadres, administratrices et dirigeantes dans les entreprises. Outre les chiffres absolus, ce sont surtout les ratios qui devraient attirer l’attention des investisseurs, notamment la proportion de femmes responsables par rapport au nombre de salariées. Nous les invitons également à replacer les données dans leur contexte et à s’appuyer sur des comparaisons ciblées par secteur, pays ou région. Certains secteurs sont en avance sur les autres. Cela s’explique parfois tout simplement par la présence historiquement importante des femmes dans ces domaines. Toutefois, cela ne suffit pas et plutôt que de chercher à atteindre des quotas, il est préférable de se concentrer sur les progrès réalisés au fil du temps.
Les entreprises communiquent de plus en plus sur les nouvelles embauches, les promotions, les programmes de mentorat, les écarts de salaires entre les hommes et les femmes, ou encore les congés parentaux qu’elles proposent, et nous nous en réjouissons. Les investisseurs peuvent demander à avoir accès à ces données lorsqu’elles ne sont pas disponibles.
La stratégie des entreprises, leur ambition – notamment d’éventuels objectifs en matière d’égalité entre les sexes – ainsi que leurs politiques relatives au recrutement et aux évaluations du personnel sont autant de facteurs à surveiller. Les investisseurs peuvent en outre s’appuyer sur d’autres indicateurs clés afin de se faire une idée de l’engagement des entreprises en faveur de la diversité. Par exemple, comptent-elles dans leurs rangs un(e) responsable de la diversité et de l’inclusion, ont-elles obtenu une reconnaissance, comme la certification EDGE (norme mondiale pour l’égalité hommes-femmes), ou figurent-elles dans des classements indépendants, tels qu’Equileap ou dans l’indice Gender Equality de Bloomberg ?
Les entreprises peuvent aller plus loin encore en menant des activités de responsabilité sociale d’entreprise (RSE). Elles peuvent ainsi apporter leur soutien à des initiatives portant sur l’éducation et les carrières des femmes, ou s’attaquer aux inégalités entre les sexes qui caractérisent leur secteur, par exemple, en refusant de véhiculer des stéréotypes liés au genre dans les médias et la publicité.
Certes, les questions de l’égalité entre les sexes et de la diversité progressent, mais il reste encore du chemin à parcourir. En faisant pression sur les entreprises et en surveillant leurs pratiques de plus près, les investisseurs contribueront à faire de l’égalité entre les hommes et les femmes un impératif pour toutes les entreprises. Une évolution qui devrait s’avérer bénéfique aussi bien pour les entreprises que pour les investisseurs, sans oublier les femmes évidemment.
[1] CNBC, There is now a woman board member at every S&P 500 company, 25 juillet 2019
[2] Reuters, Goldman Sachs to companies: Hire at least one woman director if you want to go public, 23 janvier 2020
[3] Credit Suisse Research Institute, The CS Gender 3000 in 2019: The changing face of companies, octobre 2019
[4] Source : Peterson Institute for International Economics, 2016
[5] McKinsey, Delivering through Diversity, janvier 2018
[6] Morgan Stanley, Rise of the SHEconomy, septembre 2019
[7] Women in Business Leadership Boost ESG Performance, Société financière internationale, 2018
[8] McKinsey, Women in the Workplace, octobre 2019
[9] Ibid.
[10] Estimations S&P Capital IQ, Exane BNP Paribas / Morningstar
[11] Rapport HERS de Morgan Stanley, août 2019
[12] Forum économique mondial, Mind the 100 Year Gap, décembre 2019
[13] Citigroup, Women in the Economy II – How Implementing a Women’s Empowerment Agenda Can Shape the Global Economy, novembre 2017